La Lettre des Arboristes n°7

janvier 2015

Des arbres pour demain

Raymond Durand, Président de l’Association mycologique et botanique du Loiret (AMBL)

La présence de l’arbre s’inscrit souvent en contradiction avec la nécessité de sécuriser au mieux tout tissu urbain ou rural. En ville, l’arbre gêne. Il contrarie les projets, il est source de pollutions, il occupe la place des automobiles. Bref, il n’est pas toujours l’ami des élus, bien au contraire ! Au bord des routes, il est facteur aggravant lors des accidents, d’aucuns n’hésitant pas à penser que l’arbre « se jette sur les voitures ou traverse les routes ! ». Alors pour ne pas l’éliminer, on le rogne, on le taille, on le coupe et le recoupe, on fouille au plus près de ses racines lors des travaux de terrassement, on le tuteure pour que le pieu porteur de quelques feuilles demeure encore quelques temps … celui de mourir ! Il est dommage de constater qu’à l’heure où il nous faut planter le plus possible d’arbres en ville, certains décideurs s’engagent dans une politique urbaine tout à fait contraire qui est celle du « tout béton ». Dès aujourd’hui et ce, compte tenu des soubresauts climatiques que nous connaissons déjà, il faut planter beaucoup d’arbres en ville afin de diminuer, demain, de quelques degrés les températures qui seront celles des parkings, terrasses, balcons et autres univers minéraux surchauffés. Oui, il faudra accorder plus de place aux arbres qu’il en est accordée aujourd’hui et ce, au détriment des automobiles. De plus, ce jeune patrimoine devra être traité non pas par des « fossoyeurs » mais par des hommes de l’art comme devrait l’être aussi le vieil existant souvent en mauvais état sanitaire consécutivement aux tailles et déchaussements drastiques subis au cours des cinquante dernières années. Pourtant, dans les années 1980 et plus précisément après 1985, des groupes de travail ont préconisé de nouvelles méthodes de gestion des arbres en définissant une « nouvelle politique de l’arbre en ville ». De nombreuses actions ont été menées auprès des collectivités territoriales et locales, des formations spécialisées ont été créées, des professionnels, arboristes, élagueurs, pathologistes ont appuyé la mise en place des mesures de gestion nouvelle afin de réduire le plus possible les sources de dangerosité du vieux patrimoine arboré et de conseiller au mieux les gestionnaires. Aujourd’hui, ces « techniciens de l’arbre » ne doivent plus seulement être des intervenants, des hommes armés d’une tronçonneuse, ils doivent être des conseillers, des diagnostiqueurs parce que ce sont eux qui explorent le plus en détail la totalité d’un arbre. L’arboriste, l’élagueur, le chirurgien, le médecin de l’arbre, je ne sais pas comment désigner ce personnage qui porte un tel intérêt aux arbres sur lesquels il intervient, doit pouvoir, en s’appuyant sur de solides notions, porter un jugement d’ordre physiologique, sanitaire (champignons et ravageurs), mécanique et, si possible, évaluer la qualité globale de chaque sujet et ce, compte tenu des espèces examinées.

Maladies des arbres : diagnostic et pronostic

En quoi l’expertise d’un arbre consiste-t-elle ? Voilà la question que devrait se poser bon nombre de gestionnaires, propriétaires et professionnels arboristes, élagueurs, techniciens. L’expertise conduit à établir un état de l’arbre, un bilan et signaler tout défaut majeur pouvant induire un risque, une dangerosité. Très généralement, l’expertise est pratiquée lorsqu’une anomalie est détectée ou un doute exprimé mais il faut savoir qu’une expertise peut aussi concerner des arbres sains situés, par exemple, dans le périmètre d’un projet urbain. L’expertise doit se pratiquer selon deux phases principales : un diagnostic et un pronostic. Il doit prendre en compte le plus large spectre possible de facteurs susceptibles d’expliquer les dysfonctionnements de l’arbre. Ces facteurs sont nombreux, quelquefois inattendus, insoupçonnables. De plus, bien souvent, ils agissent en synergie. Ils peuvent être du domaine de la sénescence, de la pathologie (champignons), des conditions environnementales (physiologie et stress). Ils peuvent aussi trouver leur origine dans les actions récentes et anciennes de l’homme (causes anthropiques). L’impact des insectes ravageurs, vecteurs ou non de maladies, est aussi très dommageable à certaines espèces (pyrale du buis par exemple). Tout bon diagnostic ne doit pas ignorer « l’histoire », la vie passée du sujet examiné. En effet, il est important de connaître, si possible, les antécédents d’un arbre souffreteux. N’oublions pas que les effets de la sécheresse de 1973 ont affecté certaines espèces pendant 8 à 10 ans après la longue période de stress physiologique. En un lieu donné, le diagnostiqueur (ou l’expert) doit procéder à une véritable enquête pour comprendre les causes d’un dépérissement ou d’une mortalité. L’expert s’aidera de certains matériels pour confirmer ou infirmer certaines de ses hypothèses mais retenons que ces outils ne fournissent des informations qu’aux points de sondage et que les plus sophistiqués d’entre eux ne mettent, en aucun cas, l’arbre dans une situation ou des situations qui sont celles d’une tempête ou d’une tornade. Les meilleurs outils de diagnostic sont l’observation et l’expérience. L’expert est souvent placé dans une sphère multifactorielle de laquelle il doit extraire le ou les paramètres déterminants, responsables des dépérissements. Les interventions techniques, telles que les nettoiements de couronne, pratiquées sur des sujets dépérissants, oublient, bien souvent, les causes réelles et l’impact de celles-ci dans le temps. Il en est de même pour ce qui intéresse tout soin apporté à des arbres qui, dès leur plantation, n’ont aucune chance de survivre compte tenu de leur mauvaise qualité racinaire.

Après avoir reconnu les symptômes de dépérissement sans les avoir confondus avec ceux de la sénescence, l’expert devra, si besoin, reconnaître l’environnement dans lequel l’arbre ou l’unité arborée se situe. Dans le tissu urbain, il est toujours prudent de penser aux pollutions (sel à proximité des poissonneries, des terrasses de café, etc..) ainsi qu’aux fouilles (tranchées, constructions, …) récentes et anciennes, détergents et autres produits nocifs déversés sur les trottoirs par certaines professions ou accidentellement. Les fuites de gaz, les termites ne sont pas étrangères à des dépérissements et mortalités spectaculaires dans certaines grandes villes. En ville, les systèmes racinaires sont très souvent agressés par les travaux de voirie, l’automobile, les réseaux, le béton, le tassement des sols, des produits toxiques, des actes de malveillance, la réaction de l’arbre ne pouvant s’exprimer que cinq années ou plus après avoir subi le stress. Ces facteurs, à l’exception des termites, sont d’ordre abiotique et induisent des maladies dites physiologiques. Très généralement, ces dernières sont chroniques et conduisent les arbres dépérissants à la mort. Notons que de nombreuses mauvaises reprises de jeunes sujets sont le fait de mauvaises qualités racinaires (chignons, spirales, nœuds racinaires, mottes enveloppées, etc …). Dans cette hypothèse, il ne faut pas hésiter à demander l’arrachage d’un plant. Les systèmes racinaires, notamment chez les vieux arbres de parcs, peuvent être affectés par de graves maladies dues à des champignons pathogènes souvent installés suite à une blessure. Citons quelques espèces redoutables : Armillaires, Collybie en fuseau, Fomes. L’expert doit être capable d’identifier ces différents pathogènes à tout moment de l’année, d’une part, et savoir comment agissent ces champignons, d’autre part car ils peuvent entraîner soit des bris de grosses branches, soit la chute de l’arbre en vert. Le diagnostic portant sur la couronne est généralement plus aisé à réaliser qu’au niveau racinaire. Les symptômes observés sur les couronnes sont intégrants de la mauvaise végétation des sujets qui, elle aussi, dépend de nombreux facteurs, les uns associés à des problèmes racinaires, les autres liés à des dysfonctionnements de la partie aérienne, dysfonctionnements dont il faut identifier la cause. Les facteurs affectant la partie aérienne des arbres sont, les uns biotiques, les autres abiotiques. Champignons pathogènes, insectes ravageurs, insolation des jeunes tiges, détériorations anthropiques volontaires et accidentelles, actes de malveillance (chiens et produits toxiques), décollement du cambium, tailles drastiques, températures trop élevées ou trop basses (gélivures), etc … Enfin, nous noterons, parmi les causes de bris de branches, le fait que certaines espèces ont la particularité de présenter un fort retrait en fonction d’écarts importants de températures. Les Légumineuses, avec le févier d’Amérique, le sophora du Japon, l’arbre de Judée et chez les Ulmacées, le micocoulier, ont une fâcheuse tendance à casser en été, en toute absence de vent.

Identifier les causes du mal n’est pas trop compliqué mais pour ce qui intéresse le ou les remèdes à préconiser, les choses sont plus délicates. Face à des champignons pathogènes installés au collet ou sur les racines, l’expert conseillera la suppression du sujet. Au niveau des branches et après avoir évalué les risques, il s’orientera plus vers un nettoiement ciblé des charpentières. Pour ce qui concerne les insectes ravageurs, l’expert favorisera toute opération visant à reconstituer un équilibre biologique en accordant une priorité aux prédateurs de l’indésirable ou conseillera le piégeage. Selon la nature de l’insecte, des insecticides naturels pourront être proposés, les traitements chimiques étant déconseillés. Le pronostic est l’affaire de l’expert qui, en son âme et conscience, portera un jugement non commercial sur le cas consulté. Il recommandera toutes les opérations nécessaires afin de sécuriser le sujet et/ou le soigner, si possible. Si la suppression est la seule issue, il ne devra, en aucun cas, tergiverser.