Par William Moore, ingénieur forestier et fondateur de l’Atelier de l’Arbre, Formation continue du spécialiste de l’arbre. www.arbre.net
Hommage à Alex Shigo, le père de l’arboriculture moderne
« Soigner un arbre malade que vous ne comprenez pas, c’est comme taper sur une Rolls avec un marteau pour la faire démarrer. »
Biologiste et phytopathologiste du Service des forêts des États-Unis pendant 25 ans, Alex Shigo a profondément influencé le monde de l’arboriculture. Regarder dans un microscope ou observer un tronc coupé en deux avec lui sont des expériences inoubliables. Grand pédagogue, Alex est allé à la rencontre des forestiers, des arboristes dans le monde entier pour les aider à mieux comprendre l’arbre : soigner des arbres demande une connaissance approfondie de leur biologie. La médecine moderne a démarré avec Leonardo de Vinci lorsqu’il volait des cadavres à la morgue pour dissection. L’Arboriculture Moderne proposée par Alex est basée sur le même principe : il faut disséquer l’arbre, l’observer, le toucher et le comprendre. Lors de ses séances de formation, Alex disait : « je serais déçu si vous quittiez cet atelier en disant que « Shigo a dit ceci » ou « Shigo a dit cela ». Sortons d’ici en disant « j’ai vu », c’est vous qui faites la découverte, je ne peux ni découvrir ni voir pour vous ».
Jusqu’en 1970, il y a eu de grandes avancées dans la science de la pathologie de l’arbre. On a également vu naître le métier de l’élagage et des soins aux arbres d’agrément, avec le développement de la classe moyenne demandeuse de beaux arbres en bonne santé. Cependant, des lacunes importantes persistaient dans notre connaissance de l’arbre, dues en partie à un manque de communication entre le praticien et la science. Ainsi de nombreuses interventions effectuées sur les arbres les ont rendus plus malades. Les théories et les techniques nécessitaient une sérieuse remise en question : pourquoi le tronc pourrit lorsqu’on coupe une branche ? Pourquoi ne trouve-t-on plus de noyer de qualité de déroulage ?
Les observations d’Alex Shigo ont permis de mieux comprendre l’arbre et son fonctionnement, notamment les mécanismes de défense et de protection employés par l’arbre et le modèle de CODIT (compartimentation of decay in trees : compartimentation de la pourriture dans l’arbre). Alex a également découvert la façon dont les branches sont fixées à l’arbre, entraînant des modifications révolutionnaires dans la façon de s’occuper des arbres. Petit à petit, nous voyons s’installer la Nouvelle Biologie de l’Arbre : les traitements néfastes à l’arbre fondés sur les anthropomorphismes, des mythes et des théories erronées commencent à disparaître, au profit de la taille douce, la technique du mulching, des plans de gestion à long terme… Alex était un scientifique pragmatique : « N’attendez pas que la science vous fournisse toutes les réponses. Le soin aux arbres est une combinaison de science, d’art (la technique) et de bon sens (votre expérience) ».
Visite du Bristelcone Pines National Park : carnet de voyage
Parti à la rencontre des plus vieux arbres de Californie, William Moore se retrouve face à la rudesse des déserts et à l’explosion de la vie dans cet espace caché au sein des Montagnes Blanches : le Bristlecone Pines Park. Il partage avec nous les résultats de son étude.
À 3 000 mètres d’altitude, les conditions sont rudes : froid, sècheresse, vent, grêle, neige. La croissance lente de ces arbres est l’une des raisons de leur longue durée de vie, jusqu’à 4 800 ans sur ce site. Mais d’autres facteurs rentrent en ligne de compte. La durée de la belle saison est bien courte pour la reproduction des scolytes. Les pathogènes ont donc peu de temps pour se démultiplier. Le grand espacement des arbres minimise également les dégâts du feu. Les orages y sont pourtant fréquents. Aujourd’hui, le réchauffement climatique menace de prolonger la belle saison et donc de favoriser les agents pathogènes. Les arbres ici ne peuvent pas « se sauver », ils sont déjà à l’altitude maximale des Montagnes Blanches. Le « Great Basin Bristlecone Pine » fait partie d’un groupe de 3 pins, appelé joliment « Foxtail Pines » du fait qu’il retient ses aiguilles pendant de nombreuses années : celles-ci restent en place jusqu’à 40 ans, donnant ainsi l’aspect d’une queue de renard. Les aiguilles sont regroupées par cinq. En section transversale, chaque aiguille est en forme de part de gâteau avec les stomates sur les deux faces intérieures. Les aiguilles se referment par temps sec pour former une extrémité ronde et minimiser la perte d’eau, mais également l’entrée de gaz carbonique. C’est le grand dilemme de l’arbre : mourir de soif ou mourir de faim.
Michorhize y es-tu ?
Oui, même à cette altitude, les mycorhizes sont abondants. La photo montre une radicelle de Bristlecone avec champignon eco-mycorhizien, les filaments fins sont des hyphes.
Prélevons un rameau
La section transversale provient d’un jeune rameau feuillu. Il a 6 mm de diamètre. Le bois mesure 1.5 mm de rayon pour 14 cernes de croissance soit une largeur moyenne de 107 microns. Vous pouvez voir les grands canaux résinifères axiaux dans le liber et de tous petits canaux résinifères axiaux dans le bois. La trace blanche est le parenchyme associé à un bourgeon dormant d’origine inter fasciculaire. À savoir, à la base de chaque groupe de feuilles se trouve un méristème dormant pouvant au besoin produire une réitération traumatique. Les sections suivantes sont colorées avec de la safranine faisant ressortir la lignine en rouge et de l’Astra Blue marquant la cellulose en bleu, uniquement en absence de lignine. Les 2 échantillons utilisés sont colonisés par un champignon lignivore. Comme le bois est partiellement dégradé, le sectionnement en microtome n’est pas facile.
Ramassons le bois mort au sol
L’échantillon ci-contre est prélevé sur un petit morceau de bois mort au sol. Il peut être âgé de centaines voire de milliers d’années. 4 canaux résinifères sont visibles. Il s’agit probablement d’un morceau de racine car les canaux résinifères sont peu nombreux. Le cerne de croissance du canal résinifère en haut mesure 0.135 mm d’épaisseur. Les trachéides font environ 0.025 microns de diamètre, ce qui donne une hyper résistance à la cavitation. Ces « guerriers » peuvent tolérer une pression négative importante. Ceci leur permet de fonctionner dans un environnement rude, avec en contrepartie un transport très lent de la sève xylémienne, de seulement quelques centimètres par heure peut- être… En comparaison, dans un chêne avec des vaisseaux de 400 microns, la sève monte à 32 mètres par heure.
Les Bristlecones sont dotés de canaux résinifères non seulement axiaux, mais aussi radiaux. La distance entre les deux canaux axiaux est d’environ 1.4 mm (ligne). Les deux types de canaux se connectent pour former ainsi un réseau continu dans le symplasme. L’arbre peut-il mobiliser la résine dans ce réseau pour se protéger contre les attaques de scolytes ou autres ? Certains auteurs pensent que la densité relativement forte de canaux résinifères chez les Bristlecones leur procure une excellente défense contre les ouvertures traumatiques biotiques (comme les scolytes, les champignons…) ou abiotiques (feu, grêle…). L’échantillon est colonisé par les hyphes d’un champignon. Après la phase d’expansion et la mise en place de fourches par réitération totale séquentielle ou traumatique, ces arbres passent par des phases de descente de cime intercalées avec des phases d’expansion aux réitérations traumatiques. En fait, le Bristlecone peut former de nouvelles ramifications à partir des méristèmes dormants ou via des bourgeons inter fasciculaires à la base des aiguilles. Chez les vieux arbres, 50 % des branches sont originaires des bourgeons inter fasciculaires.
En effet, ça grouille là-dedans !
Les hyphes de perforation traversent les parois des trachéides. Ils sont de diamètre plus petit que les hyphes qui poussent dans les lumens. Ces hyphes sont dotés d’enzymes capables de détruire la cellulose et la lignine, d’où leur capacité à traverser les parois. Nous ne connaissons pas l’espèce de ce champignon, mais il s’agit bien d’une pourriture blanche type 2 : dégradation de la cellulose et de la lignine. Dans d’autres échantillons, les parois deviennent de plus en plus bleues, indiquant que ce champignon digère préférentiellement de la lignine, ce qui est plutôt rare chez les conifères, où la pourriture marron cubique domine (dégradation préférentielle de la cellu- lose). Je suis persuadé que la dégradation dans nos échantillons est extrêmement lente, de l’ordre de centaines voire de milliers d’années. Peut-être qu’une croissance lente favorise une longue durée de vie, aussi bien pour les champignons que pour les arbres ? Dans les Montagnes Blanches, tout se développe au ralenti.
La visite des Montages Blanches en Californie a été très enrichissante et fournira de la matière pour les Ateliers. Notre connaissance de l’arbre ne cesse de s’accroître, mais il reste beaucoup à découvrir. Pour en savoir plus, je vous propose une lecture des plus enrichissantes : « The Bristlecone Book » de Ronald. M. Lanner. Ou encore mieux, prenez un billet d’avion…