Les platanes toujours sous la menace du chancre coloré

21/12/2018

LE LIEN HORTICOLE – N°1069 – SEPTEMBRE 2018 – PAR LÉNA HESPEL Alors que l’accent est mis sur la prophylaxie pour limiter la progression de la maladie, les replantations vont bon train pour remplacer les arbres abattus. Mais scientifiques et collectivités persistent à chercher une solution. Depuis quelques dizaines d’années, le chancre coloré attaque les platanes […]

LE LIEN HORTICOLE – N°1069 – SEPTEMBRE 2018 – PAR LÉNA HESPEL

Alors que l’accent est mis sur la prophylaxie pour limiter la progression de la maladie, les replantations vont bon train pour remplacer les arbres abattus. Mais scientifiques et collectivités persistent à chercher une solution. Depuis quelques dizaines d’années, le chancre coloré attaque les platanes dans le sud de la France et rien ne semble limiter sa progression. Au 31 mai 2018, le nombre d’arbres abattus à cause de ce champignon au niveau du canal du Midi s’élève à 21 200. Ce lieu, inscrit au patrimoine mondial de l’Unesco, se voit par conséquent profondément transformé.

C’est aussi le cas de nombreux autres endroits du sud de la France, alors que le platane fait partie du patrimoine culturel. La disparition de cet arbre dans ces lieux sonne-t-il le glas de notre platane européen ? Au-delà de la lutte contre le champignon, la question est posée de savoir par quoi remplacer les nombreux spécimens abattus. Mais c’est aussi l’occasion de faire le point sur la variété résistante Platanor Vallis Clausa®, très controversée depuis quelques années.

 

1- POURQUOI LES ARBRES TOMBENT-ILS MALADES ? 

Originaire d’Amérique du Nord, le chancre coloré est arrivé en France à Marseille (13) en 1944. Depuis, il a colonisé de nombreux départements du sud de la France. Très virulent en Europe, il ne décime pourtant pas les platanes aux États-Unis. La raison principale est la présence isolée en forêt du platane américain, ce qui rend difficile le passage de la maladie d’un arbre à un autre.

Le platane commun que l’on trouve en France est un hybride entre un sujet indigène des États-Unis (Platanus occidentalis) et celui du Moyen-Orient (Platanus orientalis). Au XVIIe siècle, une hybridation spontanée s’est faite dans des jardins botaniques d’Europe. Les arbres issus de cette hybridation ont fait l’objet de multiplication. Ils ont rencontré un vif succès, à tel point qu’aujourd’hui le platane fait partie de notre patrimoine culturel. Cette origine récente induit une faible diversité génétique. Cette dernière se traduit par une adaptabilité peu importante à des conditions environnementales particulières ou des maladies. Ce qui signifie qu’il y a très peu de chance qu’il existe une résistance potentielle au chancre dans la population européenne. A contrario, le platane américain a une diversité génétique beaucoup plus large. Il existe donc des sources naturelles de résistance au chancre coloré. Mais ces arbres ne peuvent pas être plantés en Europe car ils ne sont pas adaptés aux conditions environnementales.

À partir des années 1980, des chercheurs de l’Inra, dont André Vigouroux, ont souhaité créer une variété résistante. Pendant 13 ans, ils ont fait un travail de sélection qui a abouti au Platanor Vallis Clausa®. Ce cultivar a été commercialisé à partir de l’hiver 2005-2006. Après le dépérissement de quelques sujets, une controverse autour de sa résistance apparaît. Ces constatations ont eu lieu au sein de deux sites : dans le Vaucluse et autour du canal du Midi. La dérogation accordée à Platanor pour la plantation dans les zones infectées est alors suspendue. Des recherches sont lancées afin de comprendre à quoi est due cette situation.

 

2- QUELS SONT LES SYMPTÔMES ? 

L’infestation se manifeste par plusieurs signes internes et externes (voir l’infographie ci-contre). À côté des boursouflures et des craquelures occasionnelles, des veines de couleur violette peuvent être observées au niveau des écorces. Ces dernières correspondent au cheminement du champignon dans les vaisseaux du bois. La maladie s’exprime également par des taches noires en forme de fuseaux radiaux au niveau du bois. Ces différents symptômes sont uniquement visuels. Pour les confirmer, il est nécessaire de faire une analyse mycologique, menée par un laboratoire agréé (*). Une fois infecté, l’arbre meurt en moins de 5 ans.

 

3- QUELLE SOLUTION APPORTER AU PROBLÈME ? 

La lutte contre le chancre coloré est obligatoire en France depuis 2000. Malheureusement peu efficace pour contrer sa progression, la législation est encore renforcée depuis l’arrêté du 22 décembre 2015. Si les problèmes persistent c’est qu’il n’existe, encore aujourd’hui, aucune méthode de traitement curatif. Le parasite reste hors d’atteinte des fongicides à cause de sa localisation interne au sein de l’arbre. La seule solution lorsque le champignon est détecté, c’est d’abattre les arbres infectés, puis de les brûler pour être certain de détruire le parasite. De plus, ce dernier se transmet rapidement d’un sujet à un autre, il est donc nécessaire de surveiller étroitement les plantations (voir le Lien horticole n° 1009, Platanes : malgré une législation claire, le chancre coloré court toujours, pp. 12 et 13).

Pour éviter la transmission et prévenir la maladie, l’accent est mis sur la prophylaxie. Pour cela, il est indispensable de bien connaître le champignon, en particulier son cycle de vie et ses moyens de dispersion. Ceratocystis platani prospère et se développe dans les vaisseaux. Il y produit des toxines responsables du flétrissement de l’arbre. La reproduction du parasite se fait par des spores. Ces dernières se développent abondamment et le champignon pénètre par les plaies et les blessures, tant au niveau de la partie aérienne que souterraine. Quant à ses moyens de dispersion, ils sont multiples. L’homme peut le répandre par accident ou négligence lors, par exemple, de travaux d’entretien, d’élagage ou de terrassement, le champignon pouvant être présent sur les outils. Le vent et l’eau transportent également les spores qui pénètrent ensuite via les blessures. Et le champignon peut pénétrer via des racines qui auraient fusionné, c’est l’ana-stomose. Il peut alors passer d’un arbre à l’autre et contaminer tout un alignement.

S’il n’est pas possible d’agir sur le cycle de vie du parasite, sa dispersion peut par contre être limitée. Le guide de lutte, publié cette année par Plante & Cité, rappelle toutes les mesures de précaution à prendre (**). Les plantes ne doivent pas être blessées et les plaies éventuelles doivent être nettoyées pour empêcher la pénétration via ces plaies. De même, les outils et le matériel utilisés doivent être désinfectés. L’eau facilitant sa transmission, la navigation doit être contrôlée… Si toutes ces recommandations sont suivies, la propagation devrait être limitée.

 

4- REMPLACER LES PLATANES

Même dans le cas où la propagation du champignon serait contenue, de nombreux sujets ont d’ores et déjà été abattus. Il faut donc renouveler ces arbres et ceux à venir. Pendant un temps, la variété résistante Platanor® pouvait relayer les platanes abattus dans les zones infectées. Désormais, tant qu’une nouvelle dérogation ne sera pas accordée, les platanes doivent être remplacés par d’autres essences.Au niveau du canal du Midi, les Voies navigables de France (VNF) ont commencé la replantation en 2006. Dans un premier temps, une liste d’essences potentielles a été établie. Parmi elles, des chênes et des tilleuls, mais aussi un pacanier et un caryer. Des premiers arbres issus de cette liste ont été installés sur quelques centaines de mètres. Cette plantation, faisant office de test, permettait de faire le choix définitif. Finalement les arbres exotiques ont été abandonnés. Deux variétés de chênes ont été retenues comme essences principales sur l’ensemble du canal. Et en fonction de la zone géographique, d’autres arbres sont plantés en complément, évitant ainsi une culture unique. Des peupliers, des micocouliers ou des pins parasols font partie de ces essences complémentaires. Mais un premier problème est déjà apparu à propos de celles choisies. Le peuplier est attaqué par un papillon : la sésie du peuplier (Sesia apiformis). Logeant entre le bois et l’écorce, les larves affaiblissent les arbres. Cette chenille a déjà détruit près de 80 % des sujets replantés (les plantations ont par conséquent été suspendues). Ils devront à leur tour être remplacés par d’autres espèces. Deux autres essences, mises en place pour un temps, ont été abandonnées. C’est le cas du tilleul argenté. Averties par l’Inra que cet arbre pourrait avoir une influence sur la mortalité des abeilles, les Voies navigables de France ont décidé de mettre un terme à leur plantation. L’autre arbre abandonné est le Platanor®, à la suite des dépérissements constatés au niveau du canal du Midi. « La résistance a muté, l’arbre n’était plus protégé contre le chancre coloré », explique Jacques Noisette, de VNF Sud Ouest. Une explication qu’André Vigouroux ne partage pas.

 

5 UNE VARIÉTÉ RÉSISTANTE CONTROVERSÉE

Pour le chercheur, si dépérissement il y a, c’est dû à la façon dont les arbres ont été plantés. Ce dépérissement se limite à deux situations. Dans les autres endroits, aucun problème n’a été constaté. Une enquête réalisée par un comité de pilotage organisé par les SRAL (Services régionaux de l’alimentation) Paca et Occitanie en 2016 et effectuée sur 600 Platanor® sur des sites infectés déclare par ailleurs n’avoir rencontré aucun problème. Comme à Marseille, où un grand nombre de platanes résistants a été planté. Dans les deux cas où des dépérissements ont été constatés, le trou pour la plantation n’était pas adapté. Les racines des spécimens résistants se sont retrouvées dès le départ en contact avec des racines infectées, restées dans le sol. Or « la résistance n’est pas immédiate, il faut un petit temps de latence », explique André Vigouroux. Dans un cas normal, il y a une marge de terre saine puisque le trou est plus grand que la motte. Par conséquent, les racines ont le temps de croître, et de se défendre, avant de rentrer en contact avec de la terre qui contient des racines contaminées résiduelles. Lorsque les arbres ont été installés dans le Vaucluse, le trou était trop étroit. Concernant le canal du Midi, il ne s’agit pas tant de négligence que d’un problème technique. Les racines des platanes abattus maintenaient la berge en place. Ces sujets ne sont donc pas dessouchés et, à nouveau, ceux fraîchement mis en place sont en contact direct avec d’anciennes racines contaminées. Mais André Vigouroux pointe un autre problème concernant le canal. Il explique que les arbres ont été dévitalisés avant d’être abattus, « les souches et les racines étaient donc imbibées de produits de dévitalisation ». Ces produits, toxiques, ont touché les Platanor® nouvellement installés et ont aggravé la situation. André Vigouroux espère désormais que la variété Platanor® obtiendra une nouvelle dérogation pour la plantation sur sites infectés. Quoiqu’il en soit, il est toujours préférable de ne pas se limiter à une espèce et de planter une variété d’essences locales. Cela permet de mieux contrer les parasites.

(*) http://agriculture.gouv.fr/laboratoires-agrees-en-sante-des-vegetaux(**)* Chancre coloré du platane, guide de bonnes pratiques pour la lutte,Ed. Plantes et Cité, 2018.

 

NE PAS CONFONDRE AVEC…

Attention à ne pas conclure trop rapidement à la présence du chancre coloré. Selon le contexte, certains sujets n’expriment pas les symptômes de la maladie décrits ci-contre. Dans ce cas, le chancre coloré peut être confondu avec d’autres champignons lignivores. Les symptômes observés peuvent également être le résultat de dégâts dus au feu, au gaz ou au sel. Par exemple, si un bourrelet cicatriciel se forme à la limite des zones contaminée et saine, il ne s’agit pas de chancre coloré. Le platane fait face également à d’autres parasites, comme le tigre du platane, l’oïdium, la Massaria du platane, ou encore l’anthracnose du platane