Conifères : la phéole de Schweinitz

26/09/2019

LE LIEN HORTICOLE – N°1069 – JUIN 2019 – PAR PIERRE AVERSENQ   Ce champignon, qui se développe essentiellement sur les conifères, est un agent de pourriture des souches et du bois de cœur des arbres sur pied. En forêt, il est d’usage de programmer l’abattage d’un sujet qui est porteur de fructifications. La phéole […]

LE LIEN HORTICOLE – N°1069 – JUIN 2019 – PAR PIERRE AVERSENQ

 

Ce champignon, qui se développe essentiellement sur les conifères, est un agent de pourriture des souches et du bois de cœur des arbres sur pied. En forêt, il est d’usage de programmer l’abattage d’un sujet qui est porteur de fructifications.

La phéole de Schweinitz se développe essentiellement sur les conifères : en forêt, sur les pins (Pinus spp), les épicéas (Picea spp), les sapins de Douglas (Pseudotsuga sp.) et les mélèzes (Larix sp) et dans les parcs, sur les cèdres (Cedrus spp) et les pins parasols (Pinus pinea). En Bretagne, la phéole est citée sur des épicéas de Sitka (Picea sitchensis) conduits en peuplements. Ce champignon est présent dans les régions tempérées des deux hémisphères. Il est commun en Europe et fréquemment récolté en Amérique du Nord. La phéole provoque une pourriture sèche de type rouge cubique. Le bois se fracture dans toutesl les directions et des petits cubes apparaissent.

La fructification est annuelle et réputée pour son polymorphisme. Lorsque les chapeaux apparaissent à la surface du sol sur un mât racinaire affleurant, ils ont une forme turbinée (1), sont circulaires et munis d’un pied centré souvent rudimentaire (de 1 à 6 cm de haut). S’ils se développent sur un tronc, ils sont plus aplatis, en forme d’éventail, dimidiés et sans pied. Ils peuvent être multiples et plus ou moins imbriqués. Ils sont mous et mesurent de 10 à 30 cm de large pour une épaisseur de 1 à 4 cm. La surface piléique noduleuse, souvent zonée concentriquement, est recouverte d’une fine pilosité feutrée. Sa teinte jaune clair du début devient orangé, brunit pour finir brun-rouille. En fin de saison, la fructification noircit et persiste, desséchée au pied de l’arbre. Sur la face inférieure, les pores jaune olivâtre sont assez gros (0,5 à 2 mm de diamètre) et ont une forme très irrégulière (dédaléen (2)) et noircissent au toucher. La marge est généralement mince, mais très marquée et volumineuse sur les primordiums. Sa coloration vive — jaune soufre à orangé — est un critère important pour l’identification de la phéole. Elle s’estompe avec l’âge. À l’intérieur, les tubes décurrents ont une épaisseur variable mais plus importante à la base du pied (1 à 10 mm). La trame ochracée à brunâtre et souvent zonée est molle et gorgée d’eau.

En raison de leur coloration jaune soufre, les jeunes fructifications de la phéole de Schweinitz de forme dimidiée et imbriqués sur le tronc peuvent être confondues avec celles du polypore soufré (Laetiporus sulfureus). Mais rapidement, l’observation de la surface porée avec ses pores grossiers, irréguliers et dédaliformes permet de lever le doute.

Les sporophores sont visibles de la fin du printemps jusqu’à l’hiver. Ils croissent rapidement et persistent plusieurs mois avant de se décomposer. Certains chapeaux noircis restent parfois plus d’une année en place au pied de l’arbre.

Conséquences pour les arbres

C’est un champignon de la partie hypogée des arbres vivants ; il colonise donc les racines ou le collet. Les spores sont responsables des infections qui surviennent au niveau de plaies. Apparemment, il est incapable de se propager d’un arbre atteint à un sujet sain par contact racinaire. La dégradation du bois peut remonter dans la partie basse du tronc (1 m à 3 m de hauteur). Dans de rares cas, ses fructifications s’observent plus haut sur le fût mais il s’agit alors d’une pourriture qui remonte du collet. La phéole est un champignon qualifié de « saprophyte d’arbres vivants » ; il infecte la partie duraménisée du bois. Il peut persister sur les souches après leur abattage. Il semble également capable de se développer en saprophyte strict, directement dans d’anciennes souches.

La phéole provoque une pourriture sèche de type rouge cubique. Au début, le bois atteint reste assez compact et seules des fissures se forment le long des cernes de croissance. Par la suite, il se fracture dans toutes les directions ; des petits cubes apparaissent et des plaques mycéliennes claires se répandent dans les fissures. Le bois dégage une odeur de térébenthine.

L’activité lignivore semble assez importante. Lors d’infections survenues dans la partie basse des troncs, la compartimentation par les tissus de l’arbre semble peu efficace et une barrière 4 (zone de barrage) est rarement visible. La fragilisation du sujet colonisé peut être importante et la rupture se fait souvent au niveau du collet, tant en milieu forestier que dans des parcs.

Diagnostic et préconisations

La fructification est l’indice privilégié permettant de détecter la présence du champignon dans l’arbre. Mais attention, elle peut apparaître au sol à plusieurs mètres du tronc. Sa grande diversité de formes (dimidiée sur le tronc, turbinée au sol, de couleur vive au début puis noire) nécessite pour le praticien une bonne connaissance de cette espèce. Le critère morphologique déterminant reste la forme labyrinthée des pores qui restent visibles même sur les formes entièrement sèches. La frappe à l’aide d’un marteau à la base du tronc est peu performante et seule une altération très étendue est mise en évidence avec cet outil.

L’importance de l’altération interne provoquée par la phéole peut être mesurée grâce aux outils d’aide au diagnostic usuellement utilisés (outils à ondes sonores et pénétromètres). Les sondages sont à réaliser le plus bas possible, au niveau du sol, et sur les principaux contreforts racinaires légèrement déterrés.

La seule présence de fructifications au pied d’un arbre ne suffit pas pour décider de sa dangerosité. En forêt, il est cependant d’usage de programmer l’abattage d’un sujet qui en est porteur. La dégradation du bois interne peut être faible et souvent, seul un mât racinaire se retrouve affecté sans que l’arbre ne soit fragilisé. La décision finale doit être prise en fonction de l’importance de cette dégradation. Pour un sujet remarquable, les tests de traction qui visent à évaluer la qualité de son ancrage au sol sont particulièrement recommandés.

(1) Turbiné : chapeau ayant une forme d’entonnoir, de toupie. Il s’épaissit de la base vers le sommet.

(2) Dédaléen : pores de forme très irrégulière, tortueux et déformés. Synonyme de labyrinthés.

 

LE POLYPORE DES TEINTURIERS

Les sporophores du champignon servaient autrefois

à préparer des teintures pour la laine. Différentes colorations pouvaient être obtenues (jaune vif, brun à brun rouillé) en fonction du mordant choisi. Pour préparer cette teinture, plusieurs métaux étaient utilisés ; ils permettaient aux molécules du colorant de se fixer sur les fibres de laine (alun, étain, fer, cuivre…). Les Anglo-Saxons l’appellent « dye polypore » ou polypore colorant.